[Réflexion introductive]
Dans les restaurants gastronomiques, les gastronomes ne sont pas les plus nombreux. Les vrais gastronomes, hein ! Pas ceux qui, présents en nombre, dépensent goulûment un blé germé sans interruption -souvent sans même lever le petit doigt pour la récolte- en s'empiffrant jusqu'à plus soif des mets les plus fins, sans attention, aucune. Non. Les vrais : les curieux, les étonnés, les chercheurs papillaires en quête de promesses sensorielles et de sensibilités gustatives de chefs qu'ils élèvent au rang d'Artiste. Ah oui, ils sont rares, les gastronomes, dans les restos gastros...
La Table de Patrick Ringeard
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Artiste : Patrick Ringeard, chef au "brin d'audace".
Qualité de la table : 1 macaron au Guide Michelin, table de l'hôtel 5* du Cap Estel (Côte d'Azur).
Tarif du Menu Inspiration et de sa succession de plats inspirés : 150 euros.
Tarif de l'accord mets et vins : 80 euros.
Imaginez... Entre Eze et le Cap d'Ail, au centre d'un écrin de verdure ombragée de palmiers et de pins, un bâtiment blanc à faire rougir les villages crétois : piscine et balcons surplombent parfaitement les bleus ciel et d'azur ; en dessous, une plage privée cachée des importuns.Vous l'avez ? Digne d'un hôtel particulier panaméen au bon goût incontestable, ou même carrément du rêve américain, voici le Cap Estel ! Allez zou, on rentre.
Bon, après un accueil plutôt fissa qui laisse les clients plantés quelques minutes au beau milieu de la belle et blanche terrasse, on s'assoit face à la somptueuse vue sur le soleil couchant, bientôt remplacé par une lune parfaitement centrée sur la mer. Carte vite lue, puisqu'on veut goûter l'inspiration du grand chef. Allez, on entre dans le vif du sujet : première mise en bouche. Une brouillade crémeuse à la truffe dans une so' chic coquille noire, surmontée d'une mignonne fleur de truffe arrive comme une belle promesse. Une texture plutôt crémeuse, pas désagréable, mais quand même, crémeuse du genre grainée. Bon, c'était quand même sympa, puis on tourne la tête: "haaaa, quelle vue imprenable !" -quoique le cendrier plein posé sur la desserve d'en face durant tout le repas l'aura légèrement embrumée-. S'ensuit un grignotage peu banal : huile d'olive et petit panier empli de toasts de pain de campagne, de 2 barbajuans monégasques (petits chaussons aux blettes) et... de crudités. On avait quand même prévenu lors du rituel "vous avez produits non aimés, non digérés, ou allergènes?" : oui, pas de crudité. Mais soit, les chou romanesco, cèleri et carottes sont frais en bouche en ces débuts de chaudes soirées estivales.
Pour tout dire, même si on n'aime pas, on se met à rogner toutes les petites sommités de romanesco, tant la faim monte crescendo. Parce qu'on attend. On attend... Longtemps... Mais looongtemps... Pour voir finalement défiler tout au long du repas des petites bouchées qu'on prendra jusqu'à la fin pour des mises en bouche, par la taille et par l'esprit. Pas mauvaises, non, mais très éloignées de la promesse artistique, qu'on attendait de palais confiant et ferme. Un morceau de thon fumé qui laisse au bon goût de trop peu, une cassolette de langouste au butternut hivernal sans originalité aucune, saint-pierre tandoori encerclé de betteraves inexplicables, courgette et glace à la morille aux saveurs de poudre de morilles séchées, ris de veau à l'excellent jus, tristement servi avec les mêmes choux romanesco rongés auparavant et quatre tristes morceaux de navets pochés... Quant à l'espuma de chèvre frais insipide, on tombe carrément dans l'improbable, et presque dans l'irrespect : là sont posées les jolies et tarabiscotées pousses de petits pois et fleurs roses déjà servies sur quelques 4 ou 5 "bouchées" tout le long du dîner...
Le tout accordé à une piètre sélection de vins bon marché, sur lequel le sommelier s'attarde avec joie tandis que la glace de la courgette fond, et qu'on n'ose pas l'interrompre. Comble du professionnalisme, il oublie de servir un verre sur un plat : "Ah pardon, je suis arrivé trop tard", dira-t-il. Ah bon. Au dessert, c'est carrément le festival de gag, autour d'un saké aux arômes intéressants. Petite précision du maître des spiritueux, qui finira par offrir la totalité de l'accord vins : "Je vous le donne maintenant, mais il est pensé pour le dessert !". Résultat : un accord magique avec le pré-dessert à l'ananas, loin d'être inventif mais réellement bon, qui tuera les arômes tant de l'alcool que du dessert aux agrumes et de ses mousseuses sphères finement gélifiées, par une amertume insupportable.
Tandis que, pendant tout ce temps, et à deux ou trois reprises au cours de la soirée, on le voit apparaître. Bedonnant, tranquille, Patrick Raingeard dans sa blanche tenue salue fièrement ses hôtes, tous étrangement dithyrambiques. Fin de repas, la faim d'un bon dessert encore au ventre, désespéré, on demande à la maître d'hôtel : "Mais pourquoi des betteraves, du butternut, des navets, des racines quoi ?!?". Maître d'hôtel qui rétorque qu'en effet la carte d'hiver n'a pas encore été changée. Et que le personnel manque. Et que toutes ces critiques sont fondées... Bref, Patrick Raingeard en a effectivement eu, de l'audace, et pas qu'un brin : celle d'insulter ses clients, au travers d'une caricature gastronomique grotesque. Aussi superbe soit le cadre, sûrement l'un des pires 1 macaron Michelin de France -pour cette Tambouille, bien sûr-.
Mais alors, très chers gastronomes, d'où sortir heureux et repu d'un bon et généreux restaurant, trois fois moins coûteux ? D'ici :
Song Qi, A'Trego, Marco Ristorante |
- le Marco Ristorante, petit bijou préservé par ses jaloux clients sur le port du Garavan de Menton, face aux bateaux, pour une ambiance de service à l'italienne, où les cendriers pleins ne restent jamais longtemps sur table. Vous y goûterez une divine préparation de produits de Méditerranée d'exception pêchés le matin même (foncez sur les tartares si le choix se présente ! ) et des pâtes légères et variées. Site internet : aucun ! mais voici le numéro : 04 93 84 16 90.
- l'A'Trego, au Cap d'Ail, où le jeune chef Clément Brebion, (déjà mentionné dans cette tambouille pour la cuisine de la Treille avignonnaise, en 2012) officie pour une cuisine de bistrot chic, fine et honnête, aux beaux produits, et où le service impeccable et le cadre "surplombant la mer" sauront vous parler. Site internet : http://www.restaurantatrego.com/
- le Song Qi, à Monaco, pour apprécier les délices de la carte du chef chinois Alan Yau, avec une mention toute spéciale pour les fabuleux shumaïs de bœuf de Kobe, dont votre esprit gardera longtemps les suaves saveurs. Site internet : http://www.song-qi.mc/