dimanche 12 mai 2013

Après Piss Christ ... pisse noir à Avignon. Chronique d'une violence ordinaire.




Avignon, place Crillon, minuit et des brouettes. Toute la place est connue pour ses ambiances branchées, sa clientèle noctambule et friquée dont seulement quelques narines ne s’illuminent pas de cocaïne. Place Crillon, c’est le milieu de la nuit avignonnaise, la crème de la crème des soirées branchouilles. Nous ne connaissons pas vraiment, on se laisse tenter par l’établissement la Comédie, et entrons dans le bar bondé, parce que finalement, pour tout dire, on n’a jamais vraiment passé de soirée sur cette place. Direction le bar, commandes prises de quelconques rhum coca ou vodka pomme de mauvaise qualité, on trinque, discute, rigole, fait connaissance. La tendance ici c’est typé caucasien, bon un peu bronzé, à la limite, plutôt aux ultra-violets dans la mesure du possible, bien que quelques cinq-six profils nord-africains réussissent à se fondre et s’intégrer dans cette masse mêlées de costumes, robes courtes et talons. Une amie sort cependant totalement du lot : belle peau de camerounaise et dreads locks bien coiffées sur la tête, accessoires et tenue so chic qui entrent parfaitement dans les codes de la soirée qui se déroule. Dix minutes. C’est le temps total de la « bonne » partie de soirée dont nous avons pu profiter, après lesquels un acte d’une ignominie sans borne, aucune, est venu troubler cette prometteuse première dans le milieu Hype-Plus-Plus-Avignonnais. 

Le perturbateur ? Un homme, visiblement lucide, d’une quarantaine d’années, crâne rasé aux cheveux blonds naissants autour d’une légère calvitie, œil espiègle et rieur d’un bleu (ou vert ?) clair et limpide, masse imposante, peu bavard et accoutré d’un tee-shirt sur lequel s’étire sur tout le long de son buste bedonnant la marque Lonsdale  (dont on prêterait aux initiales du centre NSDA le sens de National Sozialistiche Deutsche Arbeiter, en référence au parti hitlérien). Après nous avoir regardé entrer et commander, c’est tout naturellement que monsieur a décidé brusquement de se soulager des quelques verres qu’il avait ingérés, non pas aux toilettes, libres et situées à un mètre de là, mais directement sur mon amie. C’est en sentant le jet chaud et liquide sur sa jambe qu’elle s’est retournée et a vu cet illuminé diriger son flot d’urine en sa direction. Se rendant  compte qu’on le voyait, il a ensuite rangé son engin comme un enfant cache ses bonbons, tout en bafouillant face aux invectives des deux-trois personnes interpellées par le ton montant. Explication des faits devant le serveur : il avait fait une petite blague, en fait « ce n’était que du coca », il avait juste fait croire avoir uriné sur sa jambe pour le fun ! Et ce tout en se glissant tranquillement vers la sortie, nous faisant face, sans être inquiété de quelque poursuite que ce soit, ayant même le temps de chuchoter un au revoir à son collègue resté tranquille à sa table.

Mon amie à la jambe souillée est restée abasourdie, moi aussi, prises d’angoisse, les yeux écarquillés vers le patron à qui nous demandions comment se faisait-il que ce genre d’acte se produise dans son bar, lui jurant que c’était effrayant. Réponse : « Moi je trouve que ce sont les gens qui prennent les autres de haut qui sont effrayants ! On l’a sorti ! –enfin il est sorti tout seul– et qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ?  Le taper ?!?» d’un air dédaigneux.  Pour cet individu aux manières étranges, seulement un  exaspéré « Ho tu fais chier ! », balancé en l’air en tout et pour tout, comme seule remontrance et punition. C’est à nous, en revanche, sidérées et tremblantes de la tête aux jambes, qu’on a finalement parlé, pour nous rassurer , dont le patron: « ho elle est choquée, mais elle est toute mignonne en plus ! Allez fais moi un sourire, et un vrai hein ! »/« Ouais c’est vrai que c’est pas correct, mais bon ! J’ai déjà vu des trucs pires ! » (Ah bon !?!)/« Ca va c’est rien, c’est de la pisse. Ca sert à rien de se rincer ! ». Bisous sur le front par-ci par-là d’individus sombrement inconnus n’ayant pas levé un petit doigt face au molosse, coupes de champagne offertes en guise de réparation, et relations soudainement amicales. Et personne pour corriger cet écart de civisme, et qu’il soit racial ou non, personne pour l’arrêter et lui dire qu’il a outrepassé les limites, qu’il a attenté contre la dignité d’un être humain, personne pour lui expliquer, de quelque manière que ce soit, verbale ou physique, que ces idées saugrenues ne sont pas les bienvenues et ne sont ni acceptées ni acceptables dans notre société. Non, parce que la société n’a pas moucheté face à cet homme, elle est restée là, a vaguement regardé, a ingéré, gobé cette violence extraordinaire, normalement, communément, et s’en est retournée vaquer à ses futiles occupations pseudo-festives. Puis la place s’est vidée vers les boîtes de nuit et soirées. Et nous nous étions là, seules, désorientées dans nos valeurs profondes.