vendredi 29 mars 2013

Défendons les popotes de nos mémères !



Que deviennent les bons vieux bœuf-carottes, navarin d’agneau, blanquette de veau, potée, cassoulet, et toutes ces tambouilles familiales d’antan, négligemment démodées par les détracteurs contemporains? Autant de recettes ancrées de traditions régionales transmises et cuisinées par des générations entières de mères collées aux cuisines pour nourrir et donner des forces aux maris et enfants, avec goût. On les retrouvait, dans les souvenirs, rangées soigneusement, perdues entre deux pages de la Cuisinière Bourgeoise ou répertoriées dans un cahier sali, auréolé de beurre, amandes ou crème, tâché de fabuleux héritage alimentaire. « La culture dont nous parlons est silencieuse et dépourvue de tout pédantisme. Elle ne se sait pas culture, d’ailleurs, […] c’est, dans la vacance d’un jour d’été, la recette que confie la mère a sa fille comme un vieux secret de famille, une lettre jaunie par le temps. » écrivait Alain Chapel. A présent on regarde s’éloigner doucement le temps du plat mijoté des heures et apporté comme ça, dans son jus et sa présentation négligée, plein d’arômes forts en saveurs régionales, parce que pour qu’une recette vaille la peine de s’y arrêter, force est de constater qu’il faut faire dans l’exotisme et les présentations béton.


Mélanges improbables trouvés sur internet ou mal griffonnés sur un bout de papier pendant une énième émission de cuisine , touchant désormais autant les hommes que les femmes, pour faire des plats qui en jettent, la voila, la nouvelle vague gastronomique des sphères intimes. C’est beau, ou pas, parfois étonnant (Chefsimon, Albarock), quelques fois surprenant, voire même souvent complètement improbable ou raté. Ca se présente sous formes de cocktails dinatoires, bouchées, verrines, croquettes, bref, il est loin le temps de la bonne franquette d’un pot-au-feu convivial bouillonnant dans sa cocotte (inclus partage de la moelle). La raison ? Papa pique, et maman coud. Et maman ce n’est plus dans le canapé qu’elle coud, elle coud maintenant à l’atelier, ou au bureau, dans son fauteuil de pdg, postière, ministre ou… que sais-je ! De toute façon elle ne coud même plus…  Depuis la révolution sexuelle, la femme s’est émancipée et n’a donc plus vraiment le temps de cuisiner, c’est boulot-boulot-boulot, rentrer du travail exténuée, sans envie aucune de passer une heure ou même la moitié à cuisiner un foutu rôti de porc. Somme toute comme les maris de la pré-révolution, fatigués de longues journées harassantes de stress ! 


Alors Picard, Carrefour, Fleury Michon, Sushi Shop, Mc Do, Pizza Presto ont pris quasi entièrement le relai, démocratisant précuit, préfabriqué, surgelé,  ou prêt à l’emploi pour simplifier la tâche aux travailleurs et travailleuses pris par l’urgence d’une vie passée à courir. Résultats : gaspillage financier et alimentaire, enfants qui pensent que la purée résulte d’un savant mélange de flocons secs et de lait, obésité grimpante inhérente à la saturation en sucre, sel et graisses néfastes du tout-prêt, et parents dépassés par la question alimentaire, seuls face à des rayons de supermarchés remplis de desserts plus chimiques et variés les uns que les autres. Le tout certifié « bon » par des chefs cuisiniers visiblement en manque d’actualité ou d’argent. Parti pris d’un monde moderne, placer la nourriture au rang de seul besoin primaire de se nourrir, ou au contraire faussement « tendance », rompt avec tout l’aspect social qu’elle engendre, tant sur le plan de la transmission de savoirs et de connaissances que sur le plan des rapports humains. Antonin Carême disait « Lorsqu'il n'y a plus de cuisine dans le monde, il n'y a plus de lettres, d'intelligence élevée et rapide, d'inspiration, de relations liantes, il n'y a plus d'unité sociale. ». Alors parce que sortir un biscuit de son emballage et le donner à son enfant n’a pas le même effet que lui faire casser des œufs et regarder par la porte du four gonfler son gâteau, parce que cuire sa poêlée de légumes surgelée n’a ni le goût, ni les vitamines, et ni la tenue des produits frais, et parce que le couscous Garbit n’égalera jamais celui de mamie, prenons le temps de sauver ces précieuses archives pour continuer de graver les sens en éveil de leurs douces et discrètes empreintes.