mercredi 6 mars 2013

Cuisine et service: l'ingratitude de la restauration


Tandis que le marché de la gastronomie explose de notoriété, Magalie, serveuse en traiteurs et restaurants traditionnels, et Vincent, (les noms ont été volontairement changés) chef cuisinier en reconversion, eux, le quittent, et nous le décortiquent.


La pénibilité du métier 

Top Chef, Master Chef, Un Dîner presque parfait, Cuisine TV, Marmiton, Fourchette et Sac à Dos : les médias français surfent sur la vague de la gastronomie, et caressent l’imaginaire des gaulois dans le sens du poil, appuyés par des chefs plus accrocs aux caméras qu’à leurs pianos. Mais s’ils font rêver les français avec paillettes sur fond de musiques sentimentales, peu osent malgré tout plonger dans le grand bain des métiers de bouche. Pas si fous ! Selon l’enquête annuelle de ManpowerGroup sur les pénuries de talents, les métiers de l’hôtellerie-restauration sont les premiers à souffrir d’un manque de main d’œuvre en 2012. Pour Magalie, 28ans, serveuse aux 13ans d’expérience, « c’est tellement mal payé… et chiant ! ». Pour Vincent, professionnel aguerri, chef de cuisine au beau parcours : « tu travailles à l’envers des autres, décalé. C’est ça le plus dur, et c’est mal payé. ». Heures de travail calées sur celles normalement allouées à la détente, port de lourdes charges, brûlures, coupures, journées d’onze heures passées debout enfermé, à piétiner, coupées entre matin et soir, sans compter vies sociales et familiales difficiles à entretenir. Vincent lassé de 19ans passés en cuisine, dont trois ans à Vonnas, atypique petit village gastronomique marqué au fer de la famille Blanc, au marketing parfait et grouillant de cuisiniers,  en témoigne: « chez Georges Blanc je n’avais carrément pas de congé ! Et ma femme qui travaillait aussi en restauration n’arrivait quand même pas à comprendre et accepter… ». Enfin bref, on est loin du rêve qu’on nous vend.

Les petits apprentis

Vincent a suivi une formation de cuisine, service et bar, il y a 19ans dans l’Ain : « à 16ans je suis arrivé en apprentissage, je faisais 15h par jour : mise en place et service du midi, l’après-midi j’allais tuer les grenouilles pour le service du soir. Je terminais à 1h du matin et c’était normal !». Avouant par ailleurs que « maintenant ils font plus attention aux heures, c’est plus réglementé. ». De plus certains apprentis endossent des rôles importants, car « ils prennent la place qu’ils sont capables de prendre », pouvant aller jusqu’à se voir offrir de grandes responsabilités, à moindre coût, maximum 61% du SMIC seulement, pour les plus de 21ans. « Quand j’étais en apprentissage, le second est parti. Je l’ai remplacé, ils n’en ont pas recruté d’autre… Je leurs coûtais 1000frcs par mois. ». Venant du monde entier et très prisés des maisons hautement gastronomiques, quelques stagiaires étrangers sont carrément rentables, recherchés pour leur côté pécuniairement intéressant, ayant pour particularité de payer leurs formations, et non de se faire rémunérer : « L’année doit leurs coûter 3000 euros, elle est répartie entre semaines de cours, peu fréquentes, et apprentissage, payé au restaurateur. Parce qu’ici tu apprends les vraies méthodes, découpes en salle, etc.…». Vincent en qualité de second de la Petite Auberge, avoue avoir vu défiler bon nombre de lucratifs apprentis internationaux, à raison de 3 stagiaires pour 5 salariés.

Une économie souterraine 

Côté paye, les salaires sont laissés libres aux bonnes appréciations des patrons, débutant au SMIC hôtelier dans le pire des cas, principalement pour des étudiants sans expérience, et pouvant monter jusqu’à 4000euros mensuels pour un saisonnier très bien payé. La plupart des revenus de professionnels en restauration traditionnelle oscillent cependant entre 1200 et 3000euros nets mensuels, bien souvent selon les facultés de négociations des employés, dont une partie entendue est payée en cash, sous les belles tables nappées. Le dernier rapport de l’URSAFF pointe du doigt cette particularité en plaçant une fois de plus la restauration en tête de liste des dissimulateurs de travail, avec 5,8% de travail totalement ou partiellement illégal dans le secteur des CHR (Les Echos du 2 Août 12). Force est de constater que peu d’établissements se font contrôler et que « 70% font du black, selon Vincent : quasiment partout où je suis passé j’y ai eu affaire, surtout en traiteurs, évènementiel, et en saisons. Ca va jusqu’à 50% voire 60% de la paye déclarée. Ce peut être du liquide, ou des heures fictives ajoutées, ce qui se passait quand je travaillais dans un conseil général pour des prestations. Pout atteindre mon taux horaire, le maître d’hôtel ajoutait des heures non travaillées. ». Magalie, elle, n’est pas habituée à négocier ses payes, et n’a vu de black que chez les traiteurs : « ils payent en liquide, la plupart du temps c’est 10euros de l’heure, bien moins que si le salaire était déclaré, en comptant les charges que les patrons doivent payer ! ». Le « black » est légion dans le domaine, au détriment des cotisations sociales des salariés. Quant aux fiches de paye, attestations Assedic, voire salaires, les employés de tous acabits déplorent le fait d’être obligés de se battre pour réclamer leurs dus en temps et heures, dont certains ne voient d’ailleurs jamais la couleur. 

La restauration, un "petit kif" personnel ?

Là où coiffer requiert diplômes et compétences avérées, en restauration, quand « quelqu’un de débrouillard arrive à une place, fait un essai, on le prend. Diplôme ou pas diplôme ! », atteste Vincent. Le service, hors restaurants gastronomiques, est lui considéré comme facile, ou il suffirait de savoir « porter 2 ou 3 assiettes », dénigré et vu comme une sorte de voie de garage professionnelle, où tout un chacun enclin à des problèmes financiers peut aller sans souci ni qualification. C’est le cas de nombreux étudiants en quête de leur argent de l’année, doublant alors professionnels avertis, et décontenancés par un marché du travail déréglé. Magalie a son avis sur ces situations de plus en plus fréquentes : « les étudiants sont plus faciles, comme ils n’ont pas d’expérience, ils sont sous-payés, au SMIC. Et parce qu’ils ne s’y connaissent pas, ils sont modelables. Alors que pour un serveur, sans responsabilité, à 42h par semaine, la paye devrait tourner autour de 1500euros nets minimum. » Elle en a fait l’amère expérience en se faisant embaucher pour la saison d’été dans un snack-salon de thé d’Avignon : « après avoir été recrutée par le directeur de salle, professionnel”, les patrons n’ont pas été contents de voir mon cv : ils ne cherchaient que des étudiants, pour la saison, pour pouvoir gagner des sous et les payer au lance-pierre. Et mon cv ne les a pas empêchés de me payer 1060euros, sans les heures supplémentaires qui devaient être obligatoirement rattrapées en jours de congés. Mais on ne pouvait rien rattraper tant la charge de travail était importante : j’avais toutes les responsabilités, de l’ouverture, à l’encaissement, au nettoyage des frigos de la cuisine… Je suis partie, et j’ai été remplacée non pas par un étudiant, mais plusieurs ! Forcément ! ». Cuisiniers et serveurs font régulièrement face à des chefs d’entreprises plus qu’à de véritables connaisseurs, passionnés de Gastronomie, et qui n’hésitent pas, en refusant de participer aux charges sociales, à se servir sur les payes des employés. Alors la restauration, esclavage moderne ?

13 commentaires:

  1. Rien de tres nouveau sous le soleil... Je suis dans cette industrie depuis plus de 30 ans et, tres relativement, je crois pouvoir dire que les conditions generales ont enormement progresse. Tant par les conditions de travail, les equipements, etc... On sait tous bien avant de commencer toutes les contraintes et c'est un choix delibere que nous faisons. Tout cela n'empechera jamais les boites pourries et les patrons escrocs, ni meme les employes de meme nature!!!!!

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  2. Rien de nouveau pour les professionnels, par pour les amateurs qui regardent toutes les émissions actuelles et bavent en rêvant de restauration. Bien que quand j'ai commencé ce métier, personnellement, je voulais rendre du plaisir aux gens en leurs faisant partager de bons plats, de la bonne humeur sur assiette, en ayant eu une première expérience dans le restaurant de ma mère, qui m'a appris à voir les choses de cette manière. Ce qui n'était malheureusement pas le cas des différents patrons que j'ai eu, qui voulaient du fric du fric du fric, au détriment et du salaire des employés, et de leur vie personnelle. les conditions ont changées? oui, aujourd'hui les chefs se sont détendu, et on paye au smic, en effet, et on donne des jours de congés par demies-journées par-ci par-là, et on sert jusqu'à minuit parfois 1h du matin. arrêtons de rigoler, la France a des lois, au-dessus desquelles passe allègrement la restauration, et je ne serais JAMAIS d'accord avec ça. Non, ce n'est pas parce qu'on choisi d'être cuisinier qu'on doit passer à côté de sa vie.

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  3. Juste une remarque, élargissez la réflexion sur la restauration... Comme pour la Viande de cheval dans les lasagnes, c'est le "système" qui s'adapte à l'économie. Les gens ont moins de temps, moins d'argent pour manger, le résultat, c'est une dégradation du "système" de restauration proposé jusque là. Il y a deux façons de s'adapter, on arrête de travailler dans ces métiers ce que font beaucoup, employés comme employeurs, ou on s'adapte en transformant son restaurant traditionnel en fast Food ou autre de type "snacking" car même en trichant sur salaire ou autre il n'y a plus d'argent à gagner en restauration traditionnelle pour la bonne et simple raison que si on veut faire face à la demande de consommateur toujours plus exigeant mais qui ne veut ou peut pas payer on y laisse sa marge et on finit par perdre de l'argent... Cette réalité est la cause de la dégradation du système là comme ailleurs... Ou on est capable de proposer et vendre de la "Valeur ajoutée" et on marge ou on meurt ou on triche pour survivre. Cyril Lignac ne fait de la cuisine, il fait de la télé, valeur ajoutée, ensuite il vend plus cher dans ses resto. C'est toute la différence. On vend de l'ambiance avant de vendre de la bouffe... On peut vendre également un prix pour coller au marché mais là il faut tricher... Ce que font beaucoup !

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    1. Et on peut donc (pourquoi pas?!?) dénoncer tout ça. C'est ce que je fais parce que je n'entends jamais parler de la réalité de la restauration sous ces angles, que j'ai personnellement explorés, aussi aigus soient-ils, et pense qu'il est bon de donner une voix aux petits personnels de la restauration. Ils en une eux aussi, et veulent se faire entendre à un moment donné.

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  4. Je ne comprends pas pourquoi les patrons de restaurants, quand ils ne cherchent pas des étudiants malléables à souhait, cherchent des employés avec de l'expérience pour etre chef de rang ou autre et les payer au SMIC!!!! C'est scandaleux, avoir 10 d'expérience et etre payé pareil que le plongeur, c'est franchement du foutage de gueule!!!!! Je ne dis pas que tous les patrons fonctionnent comme ca, mais il y en a trop! Si il n'y a pas assez d'argent pour embaucher des salariés qualifiés, ils n'ont qu'à faire le service eux meme!!!!!

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  5. On a saccagé notre métier....après la première guerre du golf notre alaire a été divisé par 2....Le mieux c'est de récupéré des fiches de salaire des années 80 et des fiches de salaire de maintenant ...Pour le même poste dans les années 80 le sommelier touchait 20000 fr net, et maintenant c'est 1300 euros....net c'est grave très grave...J'ai écris aussi un article là-dessus....mais maintenant les langues se délient
    Jean-Charles Botte sommelier http://vinpur.com/view.php?node=418

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    1. Merci pour ce message, et surtout de constater également la casse d'un métier, même deux, dans ce pays qui se dit défenseur de la gastronomie... !

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  6. Le plus triste dans tout ça c'est que ce sont surtout les grands noms qui exploitent le plus leurs employés. Ils profitent de leurs renommés pour sous payer. Je suis moi même à l'essai dans un de ces restaurants nationnalement reconnu et j'ai demandé au reste de l'équipe s'ils étaient contents de leur poste et tous me répondent : "beh.. on a de la chance de travailler pour un grand, aprés on peut trouver du travail partout.." et se faire sous payer de la même façon dans un établissement similaire? c'est honteux. Surtout à Marseille. J'ai fait mes dernières saisons en Suisse en palace et là bas, ils paient trés bien leurs employés, et le travail s'en ressent. Les Ressources Humaines, nom de zeus! Les français ont du retard en la matière. Alors un conseil, amis serveurs et cuisiniers, quand vous cherchez du travail, regardez si l'équipe est jeune ou vieille, s'il y a un gros turn over ou pas.. Les vieux ont les bons plans.

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  7. N'acceptez plus les paies de misère. Ne cautionnez plus ces pratiques. Quand les grandes maisons en auront marre des mauvaise note de service sur tripadvisor à force d'embaucher des personnes non qualifiées pour les sous payés peut être qu'ils remettront finalement en cause leur politique de rémunération et gestion du capital humain...

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    1. Merci pour votre commentaire avec lequel je suis tout à fait d'accord, pour ce qui est d'arrêter de travailler pour des payes qui ne le méritent pas. Avec le même espoir, quoique plus modéré sur tripadvisor... Je vous invite à lire mon billet sur Cauchemar en cuisine (http://latambouilledalice.blogspot.fr/2012/06/cauchemar-en-cuisine-quand-la.html) sur le sujet de ces nouveaux patrons loin d'être pro eux-même.

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  8. bravo a tous ces commentaires que je ne peux que soutenir .Une 15aines d'années de métier Je viens moi meme de quitté mon poste de chef, enfin cuisinier, car l'équipe qui était promise (minimum 5 personne avec plongeur)n'est jamais arrivé elle a été simplement remplacé par ...la mere , puis la soeur et le beauf' ou des serveurs sachant que le patron que je qualifierai vraiment de nul, ne pouvait pas aider au vu de son faible niveau..global.Des heures de présence a un rythme de taré , pas de pauses, pas le temps pour manger ....Ce monsieur Un blanc bec de 32 ans, s'étant fait payé un fond de commerce a près de 450 000 euros!!! et qui joue au patron qui boit des coups avec la clientèle.Sachant que ce chère monsieur a d'autant plus déja perdue en 3 ans deux équipe de cuisine et des serveurs (pour certains des amis) qui ne veulent plus entendre parlé de celui-ci.Le seul coté positif dans cette affaire c'est que je me dis que des gens comme lui achète plein pot des affaires, les coulent et donne du coup l'opportunité a d'autres d'acheter moins chere et qui feront peut etre mieux.Mais ce genre d'histoires avec des d'uluberlus de la sorte deviennent récurentes. Pour ma part je pense me diriger vers la formation pro, peut etre qu'en formant et en informant les personnes désireuse d'aller dans ce métier qui reste néanmoins magnifique, il sera possible de faire bouger les lignes.

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    1. Merci pour ce témoignage qui confirme une fois de plus mes mots... Bon courage dans ce nouveau parcours que vous envisager à très juste titre.

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  9. bravo a tous ces commentaires que je ne peux que soutenir .Une 15aines d'années de métier Je viens moi meme de quitté mon poste de chef, enfin cuisinier, car l'équipe qui était promise (minimum 5 personne avec plongeur)n'est jamais arrivé elle a été simplement remplacé par ...la mere , puis la soeur et le beauf' ou des serveurs sachant que le patron que je qualifierai vraiment de nul, ne pouvait pas aider au vu de son faible niveau..global.Des heures de présence a un rythme de taré , pas de pauses, pas le temps pour manger ....Ce monsieur Un blanc bec de 32 ans, s'étant fait payé un fond de commerce a près de 450 000 euros!!! et qui joue au patron qui boit des coups avec la clientèle.Sachant que ce chère monsieur a d'autant plus déja perdue en 3 ans deux équipe de cuisine et des serveurs (pour certains des amis) qui ne veulent plus entendre parlé de celui-ci.Le seul coté positif dans cette affaire c'est que je me dis que des gens comme lui achète plein pot des affaires, les coulent et donne du coup l'opportunité a d'autres d'acheter moins chere et qui feront peut etre mieux.Mais ce genre d'histoires avec des d'uluberlus de la sorte deviennent récurentes. Pour ma part je pense me diriger vers la formation pro, peut etre qu'en formant et en informant les personnes désireuse d'aller dans ce métier qui reste néanmoins magnifique, il sera possible de faire bouger les lignes.

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